Par Marie-Christine Bonzom, swissinfo.ch

Un rapport de la Commission Mondiale sur la Politique contre la Drogue, dont l’ancienne présidente de la Conféderation Ruth Dreifuss est membre, suscite un vif débat aux Etats-Unis. Il critique l’approche répressive américaine et prône la décriminalisation de l’usage de drogues.

La Commission Mondiale sur la Politique contre la Drogue (Global Commission On Drug Policy) estime que l’approche qui prévaut aux Etats-Unis et qui inspire l’approche internationale «a échoué».

Au lieu de la prohibition et de la répression, la Commission conseille une «règlementation des drogues destinée à saper la puissance du crime organisé et à sauvegarder la santé et la sécurité des citoyens».

«Les drogués sont des malades, plutôt que des criminels, et qui plus est, des malades exploités par des criminels. Le rôle de la société est de les protéger», explique Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération, à swissinfo.ch.

Le rapport intervient alors que la «guerre contre la drogue», d’abord déclarée aux Etats-Unis et transplantée dans les pays de production, puis dans les textes internationaux et à l’Office de l’ONU contre la Drogue et le Crime, fête son quarantième anniversaire.

«C’est le discours qui domine et nous paraît nocif», déplore Ruth Dreifuss, qui siège à la Commission avec d’autres personnalités comme Koffi Annan, Richard Branson ou les anciens responsables américains George Shultz et Paul Volcker.

Débat aux USA

Mais l’Administration Obama voit dans le rapport « des réponses faciles ». Gil Kerlikowske, l’ancien policier qui dirige le Bureau de la Maison Blanche sur la Politique de Contrôle de la Drogue, maintient que «légaliser les drogues provoque une hausse de leur consommation» et que l’approche américaine est couronnée de «succès».

L’ancien président Jimmy Carter, Prix Nobel de la Paix, désapprouve la Maison Blanche. Il appelle en effet M. Obama à «appliquer les réformes que la Commission avance». «Les politiques anti-drogue sont plus punitives et contreproductives aux Etats-Unis que dans les autres démocraties et ont fait exploser la population pénitentiaire», poursuit-il.

Dans une vidéo pour la Drug Policy Alliance, le chanteur Sting lance pour sa part que «la guerre contre la drogue représente une extraordinaire violation des droits de l’Homme».

Le directeur de cette organisation, Ethan Nadelmann, indique à swissinfo.ch que le rapport de la Commission est un «évènement majeur car jamais un groupe aussi distingué de personnalités n’avait fait de recommandations d’aussi grande portée pour réformer la lutte anti-drogue». Il qualifie l’attitude de l’Administration Obama de « décevante, mais prévisible ». « Obama ressemble de plus en plus à ses prédécesseurs dans ce dossier », déplore-t-il.

De son côté, Ruth Dreifuss déplore que l’Administration Obama n’ait «pas fait de déclaration claire contre la guerre à la drogue». Pour elle, les responsables américains, démocrates et républicains, «devraient se rendre compte que la guerre contre la drogue et le recours à l’incarcération coûtent cher et que la politique que nous proposons est meilleur marché et plus efficace».

L’expérience helvétique

L’ancienne présidente suisse rappelle «l’expérience forte» de la Suisse , «une expérience dans la santé publique qui mène à des interventions de type policier et pénal en cohérence accrue avec les politiques d’intégration sociale  et qui a donné d’excellents résultats sous supervision scientifique très sérieuse, par exemple la suppression quasi absolue des overdoses ou la baisse remarquable de la petite criminalité».

«Je dis à mes interlocuteurs américains qu’on peut très bien survivre politiquement en prenant l’initiative d’une réforme», confie Ruth Dreifuss. Comment réagissent ses interlocuteurs?  «En disant qu’il y a des élections qui viennent, et au niveau fédéral, je crois que M. Obama a plus de problèmes à gérer que j’en avais moi… », répond-elle.

Ruth Dreifuss reste cependant optimiste: «Les distributions de seringues propres ne sont plus au ban des politiques fédérales, l’Amérique a commencé à voir qu’il y a un facteur racial dans la disproportion des peines entre consommateurs de crack, plutôt Noirs, et ceux de cocaïne, plutôt Blancs, et elle a corrigé cette disparité. L’usage médical du cannabis est maintenant autorisé dans plusieurs Etats. Enfin, l’idée même d’une légalisation du cannabis n’a été rejetée qu’à une faible majorité lors d’une votation en Californie», note l’ancienne présidente.

Ethan Nadelmann, le directeur de la Drug Policy Alliance, est lui aussi optimiste, mais il prévient que des «défis importants» doivent être surmontés aux Etats-Unis pour permettre un rééquilibrage de la lutte anti-drogue entre répression et réhabilitation. Parmi ces défis, «l’influence du complexe pénitentiaro-industriel auprès des milieux politiques» et «la difficulté de persuader les conservateurs d’appuyer des stratégies de réduction des risques comme les échanges de seringues».

À cet égard, M. Nadelmann trouve dans la Suisse «une source d’inspiration» pour les Etats-Unis.  «Le fait que ce pays relativement conservateur ait pu faire preuve de leadership en élaborant une politique contre la drogue intelligente et responsable sur le plan budgétaire est encourageant», observe-t-il.

Marie-Christine Bonzom, swissinfo.ch

Washington

 

Tags: Global Commission on Drug Policy, suisse

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