Le Monde

GENÈVE, ENVOYÉE SPÉCIALE – Julien (le prénom a été changé) a 24 ans. Il est suisse et étudie à Genève. Il est surtout intarissable sur sa production de cannabis. “Je prends plaisir à cultiver, c’est comme un hobby. Et en plus cela rapporte beaucoup”, lâche-t-il tout naturellement. Beaucoup, effectivement : “De 25 000 à 30 000 euros par récolte.” Il en fait trois par an. Rien à voir avec ce qu’il touchait quand il travaillait chez McDonald’s.

C’est là qu’un collègue lui a parlé du filon. Si beaucoup de jeunes cultivent entre amis quatre ou cinq plants pour leur consommation personnelle, lui a vu grand : directement cent. Les copains qu’il fournit, tous issus du même milieu aisé, lui en sont reconnaissants : ils trouvent son herbe bio excellente.

PETIT INVESTISSEMENT

Il a suffi à Julien d’investir 6 000 euros, avancés par cet ex-collègue à qui il a donné par la suite la moitié de ses deux premières récoltes. Il a acheté deux tentes qui abritent chacune 50 plantes. Il les a installées dans la cave de la maison où il vit. Avant, sa mère y habitait, mais elle ne fait plus que passer. Il a aussi des lampes spéciales, des filtres à charbon pour enlever l’odeur, et tout un lot de produits. Cela ne prend pas plus de quelques mètres carrés. Il achète tout dans un “growshop” :”C’est pratique. On y trouve le matériel, les boutures, et les vendeurs fournissent des conseils, résume-t-il. Des Français aussi s’y fournissent.”

Les plants lui coûtent 500 euros, la terre et les produits 300. La culture prend dix semaines. Un associé l’aide, auquel il donne 10 % de la production. Les semaines ordinaires, il y consacre quatre heures, surtout pour l’arrosage. Sinon, planterprend six heures, tailler à mi-récolte quatre. Le plus long, c’est l’effeuillage : 48 heures. Mais ils s’y mettent à deux, “en fumant des pétards et en buvant de la bière”. Il en tire autour de 2,5 kg. Il pourrait passer à quatre récoltes, mais estimegagner assez.

Julien n’a pas peur de la concurrence. Il pense qu’ils sont une centaine sur le marché genevois à avoir autant de plantes. Mais la demande est énorme, il n’a parfois pas de quoi fournir la centaine de clients qu’il approvisionne directement ou par le biais de ses proches. Certains évoquent l’idée de se lancer. “En France, vous n’en êtes qu’au début de l’autoproduction, mais cela va se diffuser, avance le jeune homme. Les gens en ont marre de la mauvaise résine marocaine qu’ils payent une fortune et pour laquelle ils doivent se déplacer dans des endroits louches.”

D’ailleurs, Julien ne voit dans la production locale et le système de vente entre amis que des avantages : une herbe de qualité meilleure pour la santé – en achetant dans la rue on n’est jamais à l’abri d’un produit alourdi avec du sable (ou autre). Un réseau étanche aux autres drogues. Pas d’intermédiaires en cascade, donc un produit moins cher. Pas de risque de dénonciation a priori. “Un pote ne dénonce jamais son pote”, acquiesce l’un des siens, passé avec un autre amichercher de l’herbe pour quelques copains.

EVALUATION DES RISQUES

Julien a-t-il peur de la police ? Des scrupules ? Sans éluder les questions dérangeantes, il les évacue vite. “Je suis horticulteur avant tout. Je ne me considère pas comme un trafiquant.” Il précise : “Je ne vends pas d’héroïne ou de crack à des toxicos en manque, mais juste de l’herbe à des gens qui veulent fumerun pétard.” Il reconnaît cependant que ce qu’il fait est “condamnable” mais juge les autorités suisses plus tolérantes que les françaises envers la consommation et le trafic de cannabis.

Pourtant, en Suisse comme en France, la culture et le commerce du chanvre sont interdits, et l’usage n’est pas non plus dépénalisé, même si la question d’instaurerplutôt des amendes est posée – ce que font déjà certains cantons.

Question danger, Julien évoque bien “les risques au volant, le décrochage scolaire, la désocialisation ou la dépression que peut provoquer la surconsommation”, mais voit autour de lui des consommateurs qui arrivent plutôt à mener une vie normale. Et sa vie à lui ? Pour l’instant, il en profite. “Une fois mes études terminées, je travaillerai comme un honnête homme”, veut-il croire.

Laetitia Clavreul
Article paru dans l’édition du 03.08.11

Crédit image : Bud by Barbara Doduk (sous Creative Commons)

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