Gènes et cellules

Sur la piste du cannabis thérapeutique

En utilisant un composé présent dans la feuille de cannabis, une équipe de biologistes marseillais a stoppé la progression de tumeurs chez la souris. Un résultat important qui laisse espérer des traitements efficaces contre certains cancers incurables.

Soignera-t-on un jour certains cancers, contre lesquels aucun traitement efficace n’existe aujourd’hui, en administrant des extraits de la feuille du cannabis  ? Depuis les récentes découvertes réalisées dans un laboratoire de neuro-biologie de Marseille, la question mérite au moins d’être posée. Les chercheurs sont en effet parvenus à stopper des tumeurs du pancréas et du cerveau chez des souris, en injectant dans leur sang du THC, ou delta9-tetra-hydrocannabiol. Il s’agit du plus abondant des soixante composés actifs présents dans la feuille du cannabis (Cannabis sativa). Mieux : chez certains animaux, la taille des tumeurs a régressé. Un résultat d’autant plus important que les deux cancers concernés, cerveau et pancréas, sont parmi les plus agressifs et les moins bien soignés chez l’homme. Ces tumeurs répondent peu aux traitements actuels, y compris chirurgicaux, l’espérance de vie pour le cancer pancréatique étant par exemple à peine de six mois.
Ce succès est le fruit d’un travail de longue haleine. En 2005, les chercheurs marseillais mettent en évidence enfin le rôle d’une protéine* humaine, découverte dix ans plus tôt dans le même laboratoire. Baptisée p8, elle induit dans les cellules* un processus biologique irréver-sible, appelé apoptose, qui conduit à leur mort. « Au même moment, nous avons appris que l’équipe du Pr Guillermo Velasco, de l’université Complutense de Madrid, avait fait une autre découverte sur cette même protéine p8. Ses travaux montraient que l’activité de la protéine était augmentée par un traitement au THC, raconte Juan Iovanna, directeur du Laboratoire stress cellulaire. En collaboration avec les Espagnols, nous avons voulu comprendre comment le THC agissait sur la protéine p8 et évaluer sa capacité à tuer des cellules cancéreuses in vitro [en tube à essai]. L’idée était de vérifier, par la suite, cet effet sur de vraies tumeurs. »
Pour remplir leur premier objectif, les chercheurs travaillent sur des cellules en culture, dérivées de cancers du cerveau et du pancréas. Ils utilisent des outils moléculaires, leur permettant par exemple de bloquer ou de stimuler les différentes « portes d’entrée », appelées récepteurs, permettant au THC d’agir sur la cellule. Ou encore de mesurer les concentrations de certaines substances, comme la céramide, un lipide* présent dans la cellule et intervenant dans l’apoptose. Ils savent également mesurer l’activité biologique de la protéine p8, en comptabilisant le nombre de copies de son gène* à l’intérieur de la cellule.
Grâce à ces travaux, les chercheurs établissent avec précision le mode d’action du THC et la cascade d’événements biologiques conduisant à la mort de la cellule cancéreuse. Un processus impliquant la protéine p8, comme prévu, mais aussi plusieurs gènes et molécules présentes dans la cellule, ainsi que des récepteurs situés à la surface de sa membrane.
Forts de ce premier résultat, les scientifiques peuvent alors tester l’efficacité du THC sur des modèles animaux atteints de tumeurs. Des modèles obtenus en injectant des cellules cancéreuses humaines chez des souris privées artificiellement de système immunitaire. Une semaine après l’injection, le traitement commence, et les biologistes mesurent ses effets, trois fois par semaine, sur le développement des cancers. Comment  ? Dans le cas du gliome, ou cancer du cerveau, induit artificiellement chez ces souris, on peut mesurer directement la taille de la tumeur, car elle se développe juste sous la peau, au niveau du dos, là où les chercheurs injectent les cellules. Pour le cancer pancréatique, qui n’apparaît que si les cellules tumorales sont injectées à l’intérieur du pancréas, il faut sacrifier les animaux et mesurer la taille de la tumeur récupérée dans l’organe. Résultat : chez 80 % des souris, sur un total de 300, les tumeurs ont cessé de croître. Allant même jusqu’à régresser dans 20 % des cas, les résultats étant du même ordre dans les deux types de cancer. Ces résultats confirment donc l’effet anti-tumoral des cannabinoïdes, partiellement connu depuis le début des années 2000. Mais, surtout, ils précisent la voie et le mécanisme, impliquant la protéine p8, par lequel ces substances agissent. Ainsi, ils offrent la possibilité d’autres stratégies thérapeutiques si la piste du cannabis ne devait pas être suivie. Du fait d’opposition so-ciales, par exemple, ou du fait de ses effets secondaires possibles, comme des troubles du mouvement ou une accélération de la fréquence cardiaque. Une stratégie innovante que dessine Juan Iovanna : « Nous précisons actuellement la voie p8 afin d’identifier sur quelle cible nous pourrions agir. Le but est ensuite de passer au crible des molécules dispo-nibles, pour trouver celles qui agissent sur la -cible, afin d’induire la mort des cellules tumorales de la manière la plus spécifique possible. Une des pistes explorées concerne par exemple la céramide, ce lipide présent dans la cellule, qui joue un rôle dans le mécanisme conduisant à la mort cellulaire. » Le succès de ces études conditionnera un passage éventuel à des essais cliniques chez l’homme. Qui ouvrirait, on l’espère, un espoir de traitement efficace.

Texte : Pedro Lima

L’équipe
Juan Iovanna
Stress cellulaire
UMR 624

Source : http://www.printempsdeschercheurs.fr/spip.php?rubrique29

Tags: cancer, cerveau, delta9-tetra-hydrocannabiol, neuro-biologie, pancréas, recherche, santé, souris, THC, tumeur

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