Cyberpresse

Nicolas Bérubé
La Presse

(Los Angeles) Dans 10 jours, la Californie votera sur la légalisation et la taxation de la marijuana – le premier référendum majeur sur la question aux États-Unis. Tous les regards seront tournés vers l’État de la côte Ouest, dont ceux de l’administration Obama, qui n’entend pas se laisser mettre en boîte, rapporte notre correspondant. Et les Québécois, que répondraient-ils si on leur posait la question de la légalisation?

Quand il a ouvert sa boutique de marijuana thérapeutique et d’herbes médicinales sur un boulevard chic dans l’ouest de Los Angeles, il y a trois ans, Bill Leahy s’attendait à recevoir la visite de voisins en colère.

Après tout, son nouveau commerce proposait plus de 30 variétés de pot à quelques pas de certains des restaurants les plus en vue de L.A. Un quartier où 15 dollars achètent un cocktail, 75$ un t-shirt et 300$ un jeans cousu main.

Au bout de quelques jours, une voisine en colère est venue le voir.

«Elle tenait une boutique d’homéopathie de l’autre côté de la rue, et était offusquée de voir que j’offrais aussi des produits homéopathiques», dit-il.

Une idée de Mario Ste-Marie. J'ai proposé ce... (Photo: Alain Roberge, La Presse) - image 2.0

Une idée de Mario Ste-Marie. J’ai proposé ce sujet à La Presse afin de réactualiser le nécessaire débat sur la légalisation, la vente et la taxation du cannabis au pays. Un référendum aura lieu dans quelques jours sur la question en Californie. Serait-il possible de tenir une telle consultation au Québec? Et quels pourraient en être les résultats, les conséquences? Au lieu de profiter au crime organisé, cette taxe génèrerait 1,3 milliard en revenus par année pour cette Californie hyper endettée. Transposée au Québec, cette idée pourrait rapporter des centaines de millions à l’État. Pourrait-on penser un jour vendre du cannabis médical dans nos pharmacies? Et du cannabis récréatif dans les points de vente de la SAQ? Je lance la question. (Photo: Alain Roberge, La Presse)

Le 2 novembre, les électeurs de la Californie se rendront aux urnes pour élire leur nouveau gouverneur. Ils devront aussi répondre à des questions référendaires, dont celle-ci: «Êtes-vous en faveur de la régulation, du contrôle et de la taxation du cannabis?»

Appelée proposition 19, la question constitue l’effort le plus sérieux jamais entrepris pour légaliser le cannabis aux États-Unis. Si les électeurs californiens devaient l’appuyer, le pot deviendrait un produit dont la vente, la possession et la consommation seraient réservées aux adultes de 21 ans et plus. Bref, le pot aurait essentiellement le même statut que l’alcool.

La légalisation du cannabis en Californie créerait sans doute une onde de choc aux États-Unis, et ailleurs dans le monde. Et la possibilité est bien réelle: 52% des électeurs comptent voter pour la légalisation, alors que 41% s’y opposent, selon les derniers sondages.

Washington prépare déjà sa riposte. Le gouvernement fédéral, qui tolère la marijuana thérapeutique, a promis d’adopter la ligne dure contre la légalisation.

«Nous comptons faire appliquer avec vigueur la loi fédérale sur le contrôle des substances, a écrit le ministre de la Justice, Eric Holder, à son homonyme californien la semaine dernière. Et ce, même si la vente ou la distribution de marijuana à des fins récréatives devaient être permises par les lois de l’État.»

Plus important que le vin

À l’heure actuelle, il faut une ordonnance du médecin pour acheter du cannabis dans des boutiques de marijuana thérapeutique comme celle de Bill Leahy. Le système a été mis en place en 1996, également après un vote des électeurs.

M. Leah se dit en faveur de la légalisation du cannabis, même si son commerce serait certain de faire face à une concurrence accrue.

«Moralement, j’appuie le projet, dit-il. Il est temps de cesser de stigmatiser le cannabis. Par exemple, il est impossible de faire une surdose de pot. En revanche, plus de 7000 personnes par année meurent à cause de la consommation d’aspirine aux États-Unis. Qui parle d’interdire l’aspirine?»

Une récente étude de l’État montre que la Californie produit annuellement pour 14 milliards de dollars en marijuana, soit davantage que l’industrie viticole. Si le pot était légalisé, l’État toucherait jusqu’à 1,4 milliard de dollars annuellement en taxes, note l’étude.

Au cours des derniers mois, les appuis à l’option du oui se sont multipliés. Le service Employees International Union (SEIU), qui compte plus de 700 000 membres en Californie, appuie la légalisation, sous prétexte que le marché du cannabis créera des emplois syndiqués.

La campagne en faveur de la proposition 19 a récolté plus de 2 millions de dollars, dont près de 200 000$ donnés par Sean Parker et Dustin Moskovitz, qui ont participé à la fondation de Facebook.

En revanche, la quasi-totalité des services de police de l’État sont contre la proposition 19. Le shérif du comté de Los Angeles, Lee Baca, a provoqué la controverse en laissant entendre que ses policiers pourraient ignorer la proposition 19, si elle devait être adoptée par les électeurs. Jusqu’ici, le camp du non a récolté moins de 200 000$ en dons.

Le gouverneur Arnold Schwarze-negger est contre la proposition 19. «N’importe quel policier ou procureur vous le dira: la proposition 19 est une mauvaise initiative qui créera des problèmes juridiques monstres, a-t-il dit récemment. Elle va aussi faire de la Californie la risée du monde.» (Plus tôt ce mois-ci, Schwarzenegger a décriminalisé la possession de moins de 28 grammes de cannabis, qui devient une infraction civile n’entraînant pas de dossier criminel).

Côté médias, l’option du non fait l’unanimité: 26 des 30 plus grands quotidiens en Californie ont publié des éditoriaux sur le sujet. Tous, sans exception, étaient contre la proposition 19.

Craig Reinarman, directeur du département de sociologie à l’Université de Californie, Santa Cruz, est surpris par la popularité de l’option du oui chez la population.

«Il y a quelques mois, j’étais sceptique sur les chances de voir la proposition 19 adoptée, explique-t-il. Mais les derniers sondages sont étonnants. C’est la troisième augmentation depuis les derniers mois.»

Selon lui, la popularité de l’option de la légalisation, éventualité impensable il y a à peine 5 ou 10 ans, est due à la convergence de plusieurs facteurs.

«La marijuana thérapeutique a ouvert la voie. Les gens voient bien que la vie continue. Et la question de l’économie est importante cette année. Les arrestations à cause de la marijuana, et l’absence de taxation de l’industrie, sont de plus en plus vues comme du gaspillage.»

Une opinion que partage Lucile Miranda, mère de deux petites filles, et qui penche en faveur de l’option de la légalisation. Elle compte faire son choix d’ici le 2 novembre.

«Je ne suis pas en faveur de la consommation de cannabis, mais je crois que le système actuel coûte cher et ne fonctionne pas, dit-elle. Des gens se retrouvent en prison à cause du pot, ils engorgent le système. L’alcool fait plus de ravages que le pot, et pourtant l’alcool est légal.»

Oakland, ville verte

Si les 17 millions d’électeurs de la Californie ont à se prononcer sur la légalisation du pot, c’est en grande partie à cause d’un résidant d’Oakland nommé Richard Lee.

Lee, 47 ans, est en fauteuil roulant depuis 1990, quand il a fait une chute alors qu’il travaillait comme éclairagiste pour le groupe Aerosmith. Il a longtemps milité en faveur du cannabis thérapeutique. Aujourd’hui, il consacre ses énergies à légaliser complètement le pot.

«Quand j’ai commencé à vouloir faire accepter le pot médical, les gens me disaient «Ça ne marchera jamais, ça va provoquer le chaos social, la fin du monde, l’apocalypse, a-t-il dit cette semaine. Nous avons dû retrousser nos manches, et nous l’avons fait.»

Lee a pratiquement réussi à faire légaliser le pot dans la ville d’Oakland, où des dispensaires vendent du cannabis sans prétendre qu’il s’agit d’une substance thérapeutique. Le conseil municipal vient d’ailleurs de donner le feu vert à quatre projets de gigantesques serres intérieures pour la culture du cannabis. La Ville touche désormais 800 000$ par année en taxes sur le pot vendu sur son territoire.

Pas de scandale

Le plus étonnant dans toute cette campagne, c’est qu’elle se déroule de façon civilisée, voire sans éclats.

L’attention du public semble être accaparée par la course entre Jerry Brown et Meg Whitman, qui font campagne pour le poste de gouverneur. Les publicités au sujet de la Pproposition 19 sont rares. Le débat est surtout visible dans les journaux, où différents points de vue sont discutés dans la page des opinions.

Pour Craig Reinarman, une victoire de la proposition 19 ne déclencherait pas automatiquement une poursuite du gouvernement fédéral, malgré l’avertissement du ministre Holder.

«La quasi-totalité des forces policières en Californie sont des policiers municipaux et de l’État, dit-il. Les forces fédérales n’ont pas les effectifs pour s’attaquer aux consommateurs de cannabis. Il faudrait qu’ils envahissent la Californie, et je ne suis pas certain que Washington veuille choisir cette voie.»

Selon lui, les derniers jours avant le vote seront cruciaux. C’est à ce moment que les opposants à la mesure vont faire valoir leurs arguments.

«Tous les groupes de sécurité publique sont contre cette mesure, mais étonnamment, ils ne font pas beaucoup de bruit, dit-il. Les prochains jours seront intéressants. Quoi qu’il en soit, je crois que le vote va être serré.»

Consommation personnelle

La proposition 19 vise à autoriser les gens de 21 ans et plus à posséder une once de marijuana, et d’en faire la culture pour leur consommation personnelle. L’initiative prévoit un durcissement des peines imposées aux adultes qui vendent du cannabis aux mineurs. La consommation en public serait interdite. Les villes et les comtés seraient libres d’interdire la culture et la vente de marijuana sur leur territoire.

Tags: californie, usa

| Fil RSS des commentaires pour ce billet

Les commentaires sont clos.